L’H.U.B contribue à une avancée majeure dans la recherche sur l’hépatite associée à l’alcool

Le Prof. Christophe Moreno, Directeur du Service de Gastro-Entérologie de l’H.U.B, nous explique l’intérêt de cette étude et rappelle des points essentiels sur le dépistage de cette maladie.
L’Hépatite associée à l'alcool, une maladie méconnue et mortelle
L’étude a testé une molécule chez des patients atteints d’hépatite sévère associée à l’alcool. La maladie du foie évolue de manière asymptomatique chez les patients qui consomment de l’alcool de manière excessive pendant des années et qui, sans le savoir, développe une cirrhose du foie. Or, 15 à 20 % des patients [1] qui ont une consommation excessive d’alcool vont un jour développer une cirrhose. Lorsque le patient présente une jaunisse, c’est que la maladie a déjà atteint un stade avancé et que le foie est abîmé. Il existe des formes plus sévères que d’autres. Lorsque le patient fait une jaunisse sans présenter les symptômes d'une insuffisance hépatique, il peut vite se remettre. Dans le cas où les stigmates d’une insuffisance hépatique sont observés parce que le patient souffre, sans le savoir, d’une cirrhose du foie, le pronostic est alors très mauvais.
"L’hépatite associée à l’alcool est la forme la plus sévère chez les patients atteints d’une maladie du foie : 25% d’entre eux décèdent dans le mois qui suit l’apparition des symptômes. L’hôpital Erasme – H.U.B est un centre de référence dans la prise en charge de l’hépatite associée à l’alcool. Nous suivons environ 30 à 40 cas par an."
Peu de solutions thérapeutiques pour les patients réfractaires au traitement standard

Actuellement, on utilise des corticoïdes pour traiter les patients atteints d’une hépatite sévère associée à l’alcool. Cette approche thérapeutique est celle qui recommandée par les sociétés européennes et américaines d’hépatologie. À ce stade, aucun médicament n’a été approuvé par les autorités réglementaires dans cette indication.
L’hépatite associée à l’alcool est une maladie encore relativement méconnue et elle a fait l’objet de très peu d'investissement de la part de l’industrie. En d’autres termes, il y a très peu de recherches scientifiques sur le sujet. De plus, quand les patients sont diagnostiqués, le taux de mortalité est tellement élevé à court terme, qu’il est difficile de proposer un traitement médicamenteux suffisamment efficace à temps.
"Il faut savoir que, si le taux de mortalité des patients atteints de cette maladie est de 25 % à un mois, il monte jusqu’à 75% pour les patients réfractaires aux corticoïdes." [2]
Cela peut sembler paradoxal, mais l’arrêt de l’alcool n’exerce aucune influence sur le taux de survie du patient à court terme. En revanche, si le patient répond bien aux corticoïdes et qu’il est vivant à 3 ou 6 mois, l’arrêt de l’alcool va jouer un rôle déterminant dans l’évolution de la maladie et dans le pronostic du patient au long cours.
Une étude qui met en avant le rôle central de la régénération hépatique

L'étude à laquelle nous avons contribué a été menée au niveau mondial chez un peu plus de 300 patients. Nous sommes le centre clinique qui a recruté le plus de patients en Europe. Le but de cette étude est d'évaluer la sécurité et l’efficacité d’un médicament, le Larsucosterol, dont l’un de ses principaux effets est une amélioration de la régénération hépatique.
Cette régénération hépatique est centrale dans le traitement de cette maladie, car il a été constaté que l’une des raisons pour lesquelles le taux de mortalité est si élevé à court terme est que le foie ne se régénère plus.
"On a longtemps cru que l’hépatite associée à l’alcool était très inflammatoire, ce qui est le cas d’ailleurs. Aujourd’hui, on sait qu’elle est également associée à un défaut de régénération."
Bien que les résultats de l’étude n’aient pas atteint les objectifs initialement fixés, on observe que le traitement présente un bénéfice pour un segment de patients aux États-Unis. Ces résultats ont fait l’objet d’une publication dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine – Evidence et permettent le lancement d’une nouvelle étude de phase III (étude qui, a priori, devrait évaluer la meilleure dose de médicament à administrer à une population de patients encore plus importante que celle de l’étude de phase IIa).
L’H.U.B, un centre clinique leader dans le domaine de l'hépatite associée à l'alcool
Nous faisons partie des deux centres qui ont été sélectionnés pour mener cette étude clinique en Belgique. L’hépatite associée à l’alcool est une thématique de recherche importante dans notre service de Gastro-Entérologie. Nous avons étudié, dans des modèles animaux, la physiologie de la maladie et nous avons développé une réelle expertise clinique via plusieurs études qui nous ont permis de tester plusieurs molécules et stratégies thérapeutiques.
Ce qui fait de l’H.U.B un pionnier dans la prise en charge de l’hépatite associée à l’alcool, c’est notre programme de transplantation hépatique en procédure accélérée.
“Nous sommes, avec des chercheurs et médecins de Lille (France), les premiers au monde à avoir développé une solution thérapeutique pour les patients atteints d’hépatite associée à l’alcool et réfractaires aux corticoïdes”.
La transplantation hépatique représente la seule chance de survie pour ces patients, mais elle ne s’adresse qu’à une partie d’entre eux, ceux qui sont éligibles à une greffe du foie. Nous avons réalisé la première greffe en procédure accélérée en 2006. Aujourd'hui, l’H.U.B est vraiment reconnu en Belgique et à l’international pour cette activité.

Au début, le fait de greffer des foies sains à des patients atteints d’hépatite associée à l’alcool (qui par définition n’avaient une abstinence que depuis quelques semaines) a été très débattu dans la communauté scientifique et médicale. Aujourd'hui, cette approche est préconisée par les sociétés européennes et américaines d’hépatologie. Le combat a été long et difficile, mais il a considérablement amélioré les chances de survie des patients et, par extension, a profondément modifié l’éthique dans le domaine.
Il a également représenté une occasion pour l’H.U.B de consolider son expertise via le développement d’une équipe pluridisciplinaire avec : des chirurgiens, des hépatologues, un psychiatre rattaché au service de Gastro-Entérologie spécialement pour maladies du foie associées à l’alcool, un psychologue, une assistante sociale et une équipe d’infirmier.e.s énormément investie aussi dans l’évaluation de ces patients. Nous discutons tous ensemble de chaque cas pour décider si, oui ou non, les patients seront candidats à la transplantation, en utilisant des critères les plus objectifs possibles. Au-delà de cette procédure, le suivi du patient est bien évidemment indispensable.
Vers un autre regard et une autre prise en charge de la maladie
Il y a encore un an, on faisait la distinction entre les patients atteints d’une maladie du foie “gras” et ceux atteints d’une maladie du foie associée à l’alcool. On s’est rendu compte que cette segmentation n’avait aucun sens, car les maladies du foie, qu’elles soient liées à un problème métabolique (comme le diabète ou l’obésité) ou à une consommation excessive d’alcool, forment un continuum chez la plupart des patients. On observe, bien souvent, que les patients qui souffrent de dysfonctionnements métaboliques sont à risques de développer une maladie du foie. De même, les patients qui développent une cirrhose liée à une consommation excessive d’alcool, présentent généralement d’autres facteurs de comorbidité avec du diabète, de l’obésité ou encore de l’hypertension.
La nouvelle nomenclature commune créée par les sociétés scientifiques devrait susciter plus d’intérêt de la part de l’industrie pharmaceutique. Si peu d’entreprises ont investi dans la recherche sur les maladies du foie associées à l’alcool, nombre d’entre elles se penchent sur les maladies métaboliques. Or, comme les mécanismes physiopathologiques de toutes ces maladies du foie sont très proches, elles pourront désormais tester les nouvelles molécules chez tous les patients, qu’ils souffrent d'une hépatite associée à des troubles métaboliques ou à une consommation excessive d’alcool.
Cette évolution notoire, qui s’inscrit aussi dans les recommandations émises par l’Organisation Mondiale de la Santé, devrait contribuer, à terme, à déstigmatiser cette maladie qui reste la première cause de mortalité d’origine hépatique. Nous espérons que des molécules encore plus efficaces seront développées pour augmenter les chances de survie des patients. Nous souhaitons aussi que la greffe ne soit plus un sujet tabou et s’ouvre à tous les patients motivés qui fourniront les efforts nécessaires pour rester abstinents.
Pour un renforcement de la prévention et du dépistage de première ligne
Même s’il n’existe pas encore de médicaments approuvés et que les corticoïdes restent le seul traitement disponible, on comprend mieux la maladie du foie associée à l’alcool. Quand un patient développe une jaunisse dans un contexte de consommation excessive d’alcool, il est dans une situation grave et urgente qui requiert une hospitalisation dans un centre expert.
“Si le patient est réfractaire aux corticoïdes et qu’il peut bénéficier d’une greffe, il doit être admis dans un hôpital académique comme l’H.U.B, qui a la possibilité d’effectuer des transplantations hépatiques et, dans notre cas, de proposer une procédure accélérée”.
Bien que ces solutions soient proposées pour améliorer le pronostic des patients, la prévention et le dépistage de l’hépatite associée à l’alcool sont essentiels. Les médecins traitants jouent un rôle majeur dans le dépistage de cette maladie qui, rappelons-le, se développe dans le temps et reste asymptomatique jusqu’au jour où le foie se dégrade et dysfonctionne. Si le médecin constate que son patient a une consommation excessive d’alcool, il peut effectuer un dépistage simple et non-invasif.
La première étape de dépistage est de faire une prise de sang pour calculer le Fib4, un score qui permet d’évaluer si le patient a du tissu fibreux dans le foie. Si les résultats de ce score suggèrent la présence de fibrose, le médecin généraliste a la possibilité de prescrire un fibroscan (un examen non invasif qui évalue le degré de fibrose hépatique) à son patient et de le référer à l’hôpital pour effectuer la procédure. Le patient ne doit pas forcément consulter un spécialiste, il peut retourner chez son médecin traitant qui aura reçu les résultats de l’examen. Bien entendu, si l’état du patient le requiert, il faudra qu’il consulte aussi un hépatologue pour bénéficier d’une prise en charge optimale.
En matière de prévention, il est impératif de sensibiliser les patients à risques sur le caractère asymptomatique de cette maladie. L’objectif n’est pas de culpabiliser les patients, ni de le “forcer” à arrêter leur surconsommation d’alcool ou de nourriture, mais bien de les encourager à être attentifs à leur corps et à ne pas attendre les symptômes pour consulter un médecin. La détection précoce de l’hépatite associée à l’alcool peut éviter une dégradation sévère du foie et une issue quasi irréversible.
[1] Source : The Lancet – actions > Search in PubMed > Search in NLM Catalog > Add to Search> . 1995 Oct 14;346(8981):987-90. doi: 10.1016/s0140-6736(95)91685-7.
[2] Source : Hepatology. 2007 Jun;45(6):1348-54. doi: 10.1002/hep.21607.
Prof. Christophe MORENO
Directeur du Service de Gastro-Entérologie de l’H.U.B
Président du consortium Européen SALVE (Study for alcohol-related liver disease in Europe)